Pascal bazilé Carnet de Guerre

Dernier automne. Vendanges tardives. Saison des fumures et des ultimes boucheries. Halte au feu ! Saison de la paix qui se déchaîne aussi soudainement que la guerre avait pu le faire quatre ans plus tôt. Saison finale. Saison des mines que l’on déblaie.

Saison des paysages torturés et des terres stérilisées. Saison des traces. Saison des dernières lettres, des lettres testament. II faut se mettre en règle avec la mort. II faut se mettre en règle avec la vie que l’on va quitter. Saison des conséquences. Repos des guerriers sans sommeil. Saison des cauchemars qui empoisonneront la paix. Saison des veuves de guerre, des orphelins, des pensionnés, des oubliés. Saison des disparus et des morts inconnus. Saison de la « victoire », de ses parades et de ses défilés. Saison de la grippe espagnole. Saison des futurs anciens combattants qui auront tant de mal à pouvoir se passer d’alcool. Saison du deuil et des rubans de crêpe noir. Saison des réparations, des prothèses et des appareillages.

Saison des yeux qui n’osent pas regarder en face les gueules cassées, Les borgnes, Les infirmes, Les grabataires, Les culs-de-jatte, Les manchots, Les gazés, Les trépanés, Les boiteux, Les unijambistes et les paralysés. Saison des invalides et des mutilés. Saison des prisonniers qui rentrent et de ceux qui ne rentrent pas.

Saison des armées d’occupation. Saison de fermentation pour une guerre à venir qui verrait un jour, vingt ans plus tard, certains poilus de 14, survivants d’un premier enfer, rajouter une autre décoration à leurs médailles : une décoration trop grande et souvent mal cousue, en forme d’étoile jaune…

Texte extrait de « PAROLES DE POILUS » chapitre 6.
Lettres et carnets du front. 1914-1918 / Librio
sous la direction de Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume
© Radio France / 1998